Vous voici arrivés devant l’ancienne mairie-école de Vallouise. Ce bâtiment avait été acheté en 1835, avec l’autorisation du roi Louis-Philippe. Du 1er mai au 1er octobre 1896, les parents d’Élise y enseignent.
Au premier étage, se trouvait la classe des garçons où le père d’Élise, Claude Lagier-Bruno, enseignait. Elle est décrite comme « trop exiguë ». La classe des filles, où enseignait la mère d’Élise, se trouve au rez-de-chaussée. Elle est décrite comme « trop petite, froide et humide ».
Les élèves prenaient alors leur récréation sur la place publique car il n’y avait pas de cour. Là où vous pouvez voir aujourd’hui le monument aux morts, se trouvaient les toilettes de l’ancienne mairie-école.
Les parents d’Élise Freinet ont laissé le souvenir de citoyens très engagés, tant dans l’enseignement des enfants, que dans la formation des adultes (soins, hygiène, couture,..). Le père d’Élise se voit notamment distingué des palmes académiques. Ce souvenir transparaît dans la description qu’Élise fait de sa mère, surnommée par tous « La Mémée » dans l’ouvrage École Freinet réserve d’enfants, sorti en 1979 :
« Heureusement, près de nous, il y a Mémée. Éducatrice émérite, venue comme Freinet de la vie paysanne à la vocation enseignante, elle entrait tout naturellement dans le grand jeu de notre école réserve d'enfants. Elle savait mieux que tout autre saisir la différence qui sépare l'élevage de l'éducation. Par ses origines, par son intuition pédagogique, par les luttes scolaires qu'elle avait menée pour la grande cause laïque, elle était au centre de notre expérience avec tout l'élan de son grand cœur, toute la finesse de son être sensible, toute sa confiance en une cause à laquelle elle se donnait sans calcul et sans hésitation .
Nous avons mangé chez Mémée
On a mis la table : un bouquet
Deux fleurs au milieu
Au dessert il y avait des bugnes
On s'est bien régalé.
Maurice a dit un vilain mot
à Mémée.
Elle a dit : Mais toi tu n'es pas d'ici ?
Si je suis d'ici
Alors, il faut devenir poli, comme tout le monde. »
Également, l'hommage qui a été rendu à la mère d'Élise Freinet à sa mort témoigne de ce qu'elle a apporté à sa communauté de son vivant.
La C.E.L (Coopérative de l'école laïque) en deuil
« « La Mémée » n’est plus
Madame veuve Lagier-Bruno, mère d’Élise Freinet, s’est éteinte à Vallouise, le 22 juin 1951, après une vie exemplaire de femme, de mère, de militante, de pédagogue et de laïque. Elle avait 81 ans.
Une foule considérable, venue de tous les villages où elle avait « servi », de Vars, pays de Beloti, de Pelvoux, de Saint-Martin-de-Queyrières, témoignait du souvenir impérissable qu’elle laisse dans les générations qu’elle a éduquées, conseillées, aidées et animées. Sur sa tombe, un de ses plus dignes élèves, Auguste Thenoux, a dit la reconnaissance de tout un village à celle qui en fut pendant seize ans la plus dévouée et la plus humaine des éducatrices.
Au nom des F.T.P, Bourges, de Briançon, a salué avec émotion celle qui fut la doyenne des maquisards briançonnais et dont la maison fut, pendant de longs mois, le centre clandestin du maquis de Vallouise.
Mais dans cette revue à l’éclosion et à la vie de laquelle elle prit toujours une si large part, n ous dirons surtout tout ce que notre mouvement doit à la compréhension généreuse et au permanent optimisme de la « Mémée ».
Si notre école Freinet a pu naître, si elle a pu traverser les passes difficiles et parfois tragiques, c’est à la Mémée que nous le devons, à celle qui, par son origine, par son intuition pédagogique et par ses luttes scolaires était tout imprégnée de la pédagogie que nous défendons et qui, pas plus que nous, ne désespéra jamais du succès d’une cause à laquelle elle savait se donner sans hésitation ni calcul.
Si la C.E.L a pu passer elle aussi avec succès les caps dangereux qui ne lui ont pas manqué, c’est encore à la Mémée que nous le devons. Nul fondateur, en effet, nul adhérent n’a avec un si complet désintéressement et avec une si totale confiance, donner largement ce qui n’était pas toujours le superflu. Mais donner sans calcul était pour la Mémée la forme permanente de sa participation effective à la naissance d’un monde dans lequel les travailleurs, délivrés de l’exploitation, pourraient enfin travailler et vivre dans la dignité et dans la paix.
À tant de jeunes qui doutent, à tant d’éducateurs qui s’attardent loin de la vie qui monte, à tant que laïques qui semblent incapables de reprendre le fier flambeau, nous voudrions dire le dernier message d’une grande éducatrice, à qui la vue n’a ménagé ni les coups ni les épreuves et qui a su toujours nous donner l’exemple le plus haut du dévouement à une cause et de la fidélité à un idéal.
Nous nous montrerons dignes de sa noble vie, dignes du souvenir qu’elle laisse dans la pensée, dans les sentiments et dans la vie de tous ceux qui ont eu le privilège de l’approcher et de l’aimer. »
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