Le temps était gris et triste en ce dimanche 9 novembre 1879. Comme souvent dans le
Queyras, la période de Toussaint avait été très agréable dans la magnificence des mélèzes
qui offrent selon l'altitude un festival de teintes d'automne allant du plus bel or jusqu'au vert sombre et à la neige près des sommets.
Les habitants du hameau de Gaudissard étaient allés à la messe à Molines, la messe se
terminait lorsqu'on vint prévenir qu'il y avait le feu à Gaudissard. Tous partirent de l'église et coupant à travers champs rejoignirent le vieux sentier qui part du centre de Molines pour rejoindre Gaudissard. Toutes les fois que j'emprunte ce sentier, qui existe toujours, j'imagine l'angoisse et sans doute l'affolement des habitants rejoignant en courant leurs habitations, sachant très bien que le feu dans un hameau était redoutable, difficile à combattre, et capable de détruire en quelques heures des dizaines de maisons.
J'ai pu retrouver aux archives à Gap le procès-verbal des gendarmes qui, prévenus à 11 h
45 ce dimanche 9 Novembre 1879, étaient arrivés sur les lieux à 14 heures.
Ce 9 novembre 1879, le feu s'était déclaré à 11 heures du matin dans la grange du
nommé Bellon André, alors qu'ils étaient à la messe et en l'absence de toute autre personne dans la maison. Le dit Bellon avait, en sortant, laissé le poêle allumé. Le poêle
communiquait avec une cheminée en fonte qui longe le grenier à foin et duquel elle n'était séparée que par des planches probablement pleines de goudron, qui a fait explosion presque en même temps que le feu a été aperçu. Ainsi qu'il résulte des déclarations de Mr Bellon Chaffrey, de son fils et de Suzanne Bellon, épouse Martin qui se sont trouvés les premiers sur les lieux du sinistre.
L'eau ayant manqué au commencement de cet incendie, la flamme poussée par le vent
délogeait les travailleurs et atteignait successivement les maisons voisines auxquelles le feu se communiquait aussitôt. Les progrès de l'incendie n'ont pu être arrêtés que lorsque le canal d'irrigation qui passe au-dessus du hameau a pu être rétabli et que les pompes à
incendie de Saint Véran, Château Ville vieille, Aiguilles et celles de la garnison de Fort
Queyras ont été rendues sur les lieux.
À minuit tout danger avait disparu mais ce n'est que le 11 novembre au matin que le feu était complètement éteint.
Aucun des incendiés ne se connaît d'ennemi et chacun s'accorde à dire que cet incendie est purement accidentel.
En foi de quoi nous avons dressé le présent en triple exemplaire : le premier adressé à Mr. le procureur de la république, le deuxième à Mr. le sous-préfet et le troisième à notre
capitaine en conformité de l'article 495 du décret du 1 mars 1854.
Fait à château Queyras les jours, mois et ans que dessus.
Signé Félizat, Lamy, Lagier. »
Ce sont quatorze maisons qui avaient été la proie des flammes, la plus grande partie du
mobilier, linge, foin, paille, seigle, farine, fromages, un cochon et de la volaille avaient été
consumés. La perte approximative était estimée à l'époque à 57 000 F et rien n'était assuré.
Une aide sera cependant apportée aux sinistrés grâce à un fonds créé à partir d'un legs du sénateur Ladoucette, et ils auront le droit de couper du bois en forêt pour reconstruire. Onze familles avaient pratiquement tout perdu, ce qui n'avait pas été brûlé fut entreposé dans les
maisons du hameau qui avaient été épargnées par l'incendie, ce fut le cas de notre maison,
située plus bas dans le hameau, maison importante appartenant à Jean Martin où vint
s'installer Etienne Bellon et sa famille... La plupart des ruines ne furent pas relevées et le
hameau de Gaudissard fut peu à peu abandonné.
Le 14 juin 1905 un nouvel incendie porta le coup de grâce, quatre maisons furent détruites.
La fuste de notre maison fut sans doute incendiée partiellement, mais la maison résista ou put être protégée, en raison des pièces voûtées du caset.
Pendant les 60 années qui suivirent, les ruines des maisons de Gaudissard s'écroulèrent
peu à peu, et quand, en 1962, je visitai ce hameau, il ne restait que trois bâtiments debout, dont un seul était habité par un émigré Italien Giovanni Poet, qui vivait là avec son cheval et sa chèvre, et qui faisait le débardage de bois. Les deux autres maisons, en partie ruinées, allaient être restaurées: la Maison de Gaudissard et notre maison : La Fuste.
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